Paul-Claude Racamier, psychanalyste et psychiatre français, est le théoricien de cette notion entre la perversion et la psychose. Auteur de nombreux ouvrages sur les domaines de la psychopathologie, des psychoses et de l'incestualité, je vous recommande vivement leur lecture, notamment " L'inceste et l'incestuel ".
Je vous le disais en début d'article, toute la difficulté lorsque l'on subit l'incestuel réside dans le doute et la confusion perpétuelle qui gouvernent. Une personne ayant grandit sous le joug de l'incestualité sera toujours confrontée à ses questionnements internes, ne saura jamais dire si ce qu'elle a vécu était vraiment normal ou non, remettra en cause tout en minimisant les faits, se culpabilisera d'émettre un quelconque jugement sur son vécu et/ou son éducation, se jugera elle-même responsable de toutes ces difficultés et de tout ce mal-être inexpliquable qu'elle ressent depuis toujours.
Les faits étant tellement ancrés dans le quotidien, l'éducation, l'amour familial et parental, il est alors extrêmement difficile pour l'individu les ayant subi de se détacher de cet emprisonnement, de cette camisole psychique.
IMPORTANT ! Avant toute chose, un message me parait indispensable !
Ne pas confondre devoir parental et incestuel ! Un parent qui aide son enfant dans l'apprentissage de l'hygiène et de la propreté n'en est pas pour autant un parent incestueux. Un enfant qui n'est pas encore autonome de part son âge (jusqu'à 3-4 ans) a besoin de sa/ses figures parentales pour l'aider dans cet apprentissage. Il est bien sûr de notre devoir en tant que parent d'apprendre l'autonomie et l'indépendance à nos enfants, au bon rythme de leur développement, ne faisons donc pas d'amalgame.
L'incestuel est un climat, une manière d'agir de l'ordre de la perversité et de l'emprise qui s'inscrit dans une éducation et dans un quotidien familial où les limites du corps et de l'esprit des uns et des autres n'est clairement pas définit.
Les parents ne tenant pas leur rôle de figures sécurisantes, l'enfant est confronté à des problématiques non adaptées à son âge et à sa qualité d'enfant. La place de chacun des membres de la famille n'est pas correctement inscrite dans l'inconscient collectif familial, créant ainsi des brèches symboliques qui marquent à jamais le corps et l'esprit.
L'enfant est donc confronté de manière déraisonnée, démesurée et destructrice à des domaines de la vie dont il doit être préservé tels que la sexualité, la nudité, la mort, le suicide, la violence, la drogue, les addictions, la dépression etc.
Exemples distinctifs du caractère incestuel : Notez que j'y parle surtout du rapport parent/enfant mais l'incestuel ne se limite pas au seul lien parental. Les grands-parents, frères, sœurs, oncles, tantes, cousins, cousines et autre sont également à inclure.
- Embrasser son enfant sur la bouche (y compris à l'âge adulte)
- Laver son enfant ou être présent(e) dans la salle de bain lorsque son enfant se douche (alors qu'il est parfaitement autonome !)
- Laisser la porte de la salle de bain et des toilettes ouvertes
- Se promener nu(e), s'exhiber devant son enfant
- Inciter son/ses enfants à se promener nu dans le foyer familial (devant les parents et/ou autre membre de la famille)*
- Partager ses sous-vêtements avec son enfant
- Se confier sur sa vie, ses difficultés de couple, ses désirs et ses envies à son enfant (critiquer ouvertement le parent opposé, faire des allusions sur le physique et l'apparence sexuelle du parent opposé, parler de ses fantasmes à son enfant)
- Prendre sa douche en famille (tout membre confondu)
- Être intrusif dans l'intimité de son enfant (parler de sujets qu'il n'a pas envie d'évoquer)
- Prendre des photos de son enfant nu
- Avoir des gestes à caractère sexualisé envers son enfant (caresses intrusives et sensuelles)
- Dormir dans le même lit que son enfant (y compris jusqu'à un âge avancé)
- Permettre à la chambre à coucher des parents d'être un lieu de passage important du foyer (télévision dans la chambre, retrouvailles régulières des membres de la famille dans le lit parental, faire dormir son enfant avec soi de manière régulière)
- Confronter son enfant à sa vie sexuelle (en parler avec lui, l'inviter à assister à des rapports sexuels entre adultes, lui montrer des vidéos/magazines à caractère pornographique, afficher ouvertement ses rapports sexuels sans discrétion)
- Ignorer la pudeur de son enfant (entrer dans sa chambre sans frapper, lui interdire de fermer les portes à clé)
- Parler d'évènements graves en la présence de son enfant et en toute banalité
- Responsabiliser son enfant de manière démesuré
- Inclure son enfant dans des décisions familiales (=> syndrome de l'enfant-thérapeute ou enfant-sauveur causant l'ouverture à la culpabilité par loyauté inconsciente à ses parents)
- Empêcher son enfant de devenir autonome, de grandir et de s'émanciper (critiques constantes sur le physique, sur les capacités à réussir seul, jugements sur les émotions, critiques permanentes des décisions prises et des désirs d'avenir)
" Quand je suis pas là, c'est toi l'homme de la maison " - " Quand est-ce que tu vas grandir un peu "
" Tu peux m'appeler par mon prénom maintenant, Maman c'est pour les bébés " - " C'est pas moi le problème, c'est toi qui prend toujours tout mal " - " Je sais ce que t'aime ou pas quand même, c'est moi qui t'ai faite " - " Mais je rêve, tu me connais pas en fait " -
" Ton père il sait rien faire de ses 10 doigts " - " Je te souhaite de trouver un meilleur coup que moi mon fils, ta mère c'est une plaie " -
" J'ai jamais autant pris mon pied qu'avec ton père " - " Tu sors encore ce soir ? Après tout ce que j'ai fait pour toi c'est comme ça que tu me remercies ? " - " Jamais aucune autre femme ne saura mieux que moi te combler " - " T'as vu le beau cul qu'elle a ta fille ! " -
" Toi tu peux tout porter, avec la poitrine que t'as " - " Ton père il a jamais aimé les maigres, lui il aime les femmes en forme " -
" Avec le recul, j'aurai jamais du avoir d'enfant " - " Les seules personnes en qui tu peux avoir confiance, c'est nous tes parents " - " Tu sais la masturbation, c'est sain "- " Je sais mieux que toi ce qui est bon ou mauvais pour toi "
Pour un parent qui incestualise, le concept même d'émancipation de son enfant lui est étranger de part le fait qu'il n'est qu'une projection de lui-même. C'est cette information qu'il convient de retenir ! L'enfant n'est jamais perçu comme un individu à part entière, ni dans son corps, ni dans son esprit, ni dans sa personnalité.
C'est une négation complète du caractère individuel d'une personne.
Il est souvent amené autour du sujet de l'incestuel le côté inconscient des parents, leur non volonté, leur mégarde dans la manière dont ils ont choisi l'éducation à donner à leur enfant, laquelle est souvent affublée de qualificatifs élogieux (cool, ouverture d'esprit, moderne, sans tabou).
Il peut arriver qu'un enfant surprenne ses parents faisant l'amour, ou aperçoive son parent nu au sortir de la douche sans que cela ne devienne traumatisant ou pervertissant.
Néanmoins, je tiens à prendre position aujourd'hui dans mon article car je ne suis pas en accord avec cette affirmation d'inconscient parental car elle sous-entend que le/les parent(s) aient pu agir sans volonté de nuire ou de pervertir leur enfant.
A partir du moment où le quotidien et l'éducation sont empreints du climat incestuel, que tout ou parti des exemples cités précédemment sont monnaie courante au sein de la famille alors c'est qu'il ne s'agit aucunement d'actes isolés et inconscients.
Tout est une question de choix. Il faut bien comprendre que le parent incestuel agit en pleine conscience de ses actes bien qu'il énonce le contraire quand une faille dans le système vient à se manifester.
Gare à celle ou celui qui remettra en question sa famille incestuelle ! Puisque tout l'équilibre illusoire de la famille repose sur ce fonctionnement du mélange générationnel, si l'enfant, devenu grand, cherche à s'en extirper, alors il sera pointé du doigt comme étant celui que l'on ne "reconnait plus", qui a "changé", qui n'est plus "comme avant", qui fait sa "crise d'adolescence", qui cherche à "briser des vies", qui est à l'origine de tous les "maux de la famille".
La famille incestuelle usera de tous les moyens possibles pour se victimiser et faire porter encore plus le poids de la culpabilité à celui qui sort des rangs.
Subir une telle intrusion dans son identité profonde n'est pas sans conséquences, vous l'imaginez bien.
Outre les difficultés d'appréhension du monde environnant, il y a bien évidemment des séquelles dans tous les domaines qu'ils soient physiques, psychiques, cognitifs ou comportementaux.
Je vous en cite quelques exemples ci-dessous :
- perte/manque d'énergie vitale
- pathologies/douleurs physiques : maux de tête, migraines, maux de dos, troubles digestifs, endométriose, règles douloureuses...
- troubles du sommeil : insomnies, cauchemars récurrents, paralysie du sommeil...
- troubles du comportement alimentaire : alimentation émotionnelle, anorexie, boulimie...
- troubles psychiques et psychologiques : psychose, dépression, anxiété, angoisses, peur de la vie, peur de la mort, peur de la solitude, peur de l'abandon, idées suicidaires, peurs inexpliquables...
- difficultés de concentration/d'apprentissages/de mémorisation : perte, troubles de la mémoire...
- sensation de vide intérieur sans pouvoir se l'expliquer : se sentir comme une coquille vide, ne ressentir aucune émotion ou peu, avoir l'impression de ne pas être normal(e), avoir l'impression de venir d'ailleurs, impression de ne pas savoir qui l'on est, sensation de solitude extrême permanente
- pas ou peu de souvenirs d'enfance
- idéalisation de l'enfance
- difficultés à créer du lien social : méfiance excessive, anticipation anxieuse de l'avenir, dépendance affective...
- sur-adaptation à l'environnement : faux-self, impression de ne jamais être soi-même, porter un masque social permanent
- difficultés dans le rapport intime à l'autre : pas ou peu de libido, sensibilité accrue et désagréable à certaines caresses, impossibilité de toucher ou d'être touché(e), douleurs lors des rapports, vaginisme, impression de ne pas aimer la sexualité, impression de pouvoir s'en passer, sensation d'être sali(e) lors d'un rapport, impression de devoir se forcer pour faire plaisir à l'autre, impossibilité d'allier vie amoureuse/affective et rapport sexuel...
- tendance aux comportements obsessionnels et addictifs : drogue, alcool, sexualité, alimentation déréglée...
Je vous le disais, sortir de cette emprise est extrêmement difficile et relève de la survivance.
Comment se sentir légitime dans sa souffrance quand il n'y a pas de "preuves", rien de "concret", que notre malaise semble n'avoir rien de tangible ?
Comment l'expliquer à son entourage et mettre des mots sur ce que l'on sait être vrai au fond de nous mais que l'on ne sait pas exprimer ?
Bien malheureusement il est très difficile de faire reconnaitre juridiquement parlant les conséquences d'une telle enfance. Nous l'avons dit, contrairement à l'inceste qui augure d'un passage à l'acte, l'incestuel ne laisse aucune trace visible.
L'inceste lui-même étant encore aujourd'hui extrêmement difficile à mettre en lumière, je vous laisse imaginer la difficulté supplémentaire qu'amène un inceste "non agit". Bon nombre de victimes ne seront jamais reconnues comme telles ni par la justice ni par leur entourage.
C'est pourquoi il est d'autant plus indispensable pour se détacher émotionnellement de sa famille incestuelle de faire un travail thérapeutique sur soi. Même si l'on ne parvient pas à être entendu(e) ou reconnu(e) par nos tiers, le principal, le seul fait essentiel et unique est de se reconnaitre soi-même pour enfin avancer et cesser la diffusion interne du poison que représente l'incestuel.
Si vous vous reconnaissez dans mes mots aujourd'hui, je ne saurai que trop vous inviter à entamer cette réflexion sur vous-même, non pas pour vous culpabiliser encore plus, mais bien pour vous dégager de cette empreinte toxique.
Vous avez pleinement le droit d'exister mais pour cela il faut vous y autoriser et ce n'est pas une mince affaire lorsque l'on a été conditionné(e) à n'être qu'un objet toute son enfance et toute sa vie.
Prenez conscience de votre valeur en vous donnant dans un premier temps l'opportunité d'aller mieux et d'enfin savoir qui vous êtes.
Pour aller plus loin :
Comment reprendre corps avec soi-même quand on a grandit sans identité propre ?